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Pages de garde, premier texte de Pascale Lemler paru chez bf édition, est d'abord un joli petit objet à la couverture déjà pleine de sens. Pascale Lemler a choisi l'une de ces "belles gardes" des livres reliés, dont les motifs abstraits peuvent évoquer une plongée dans les cellules d'un cerveau, clin d'oeil à la psychanalyse. La page de garde vient ensuite, « celle qui reste vierge mais contient déjà la promesse de ce qui va suivre », donne son titre à l'ouvrage, nomme le texte central. Car ce qui est transmis n'est pas forcément raconté et, si la connaissance précède la naissance, elle semble s'évaporer sitôt le nez dehors. Mais il en reste quelque chose, et c'est ce que cherche Pascale Lemler. A travers une histoire d'abord de filiation, l'auteure strasbourgeoise livre dans un texte intime difficilement classable, entre poésie, chant, incantation, comptine, un riche et fructueux travail d'introspection. Il raconte en filigrane la Shoah. Mais si Pascal Lemler veut au-delà du silence ne pas laisser s'installer l'oubli, elle n'en fait pas un récit attendu. Sa chronologie, aux antipodes du document, file la métaphore. Pascale Lemler sait glisser dans la réalité dite ce qu'il faut de légèreté pour la porter. Les mots gigognes restituent une partition propre à l'enfance. Pages de garde, palimpseste de la mémoire, se déguste par petits bouts. Fort à propos, la compagnie Via en donnera une lecture le 12 décembre (à 17 h à la Mairie, rue Brûlée), à Strasbourg. |
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Le mot "garde" interpelle d’emblée l’imaginaire du lecteur et aiguise sa curiosité. Entre les deux pages de garde, n’allons-nous pas entrer dans la confidence d’ un secret qui déborde l’épaisseur du silence ? Pascale Lemler nous le confirme dans le poème "Page de garde" "où jamais rien ne s’écrit" mais qui laisse deviner "les voix oubliées". Ce sont ces "voix oubliées" que l’on perçoit dans le livre-poème de Pascale Lemler. Ces voix enfouies dans les pages de son inconscient sont de chair et de sang, elles irriguent le corps même de l’auteur qui les porte jusque dans son verbe. La voix de "Papapa" (Pa-papa) qui erre dans "un monde sans clarté" revient inévitablement car "d’autres ont pour charge de les porter". Dans ce petit livre, Pascale Lemler ne semble avoir d’autre choix que celui de prêter sa voix à ceux et à celles qui "vont ensemble brûler dans les fours". Car c’est bien dans l’indicible et dans l’inouï que Pascale Lemler va donner la parole à ceux des membres de sa famille qui ont disparu dans les cendres de l’Holocauste. A travers les mots de son enfance qu’elle noue et dénoue, elle devient "l’infans" "pleine d’absents" et écrit "des mots qui ne sont pas vides de sens". Ainsi même les vieilles comptines telles "Le père Lustucru" ou le fameux "Pirouette, cacahouète" recèlent et livrent les plus sombres secrets. Les jeux de mots si musicaux , les ritournelles, gage d’innocence, se révèlent être les mots de passe qui permettent à l’auteur de franchir le miroir. Pascale Lemler telle l’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll nous entraîne alors au-delà des mots, dans cette nuit inversée où le mal et l’innommable ont scellé le silence dans la bouche d’ombre. L’écrivain, dans un texte lumineux et poétique, car seule la poésie peut appréhender l’indicible, ramène au jour une parole essentielle qui la réconcilie avec elle-même dans le même temps qu’elle réunit vivants et morts dans la pleine lumière d’une langue taillée dans le vif de l’âme. L’auteur nous dit :" En ce trou de mémoire, avant le début, après la fin d’une histoire, dans le silence qui la précède de celui qui la suit, les générations se confondent". Quand les souvenirs affluent, l’horreur prend forme, elle a le visage d’un enfant mort étouffé par le poids des plus grands, celui de son père sauvé par le doudou en chiffon de son fils qui aura fait office de masque à gaz..... Le livre de Pascale Lemler n’est pas un livre de plus sur la Shoah ou une parenthèse bouleversante entre deux pages de garde, il appartient déjà à notre mémoire collective car le lecteur n’oublie rien des mots, des images et des comptines qui continuent à le hanter jusque sur les rives de sa conscience tout en soulevant sous l’onde les remous de sa propre histoire. Françoise Urban-Menninger |
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Le texte que nous donne à lire Pascale Lemler déroule sous nos yeux le fil d’un récit qui commence dans « un cri », celui de « l’enfant qui surgit », et se termine le doigt posé sur « ce papier à musique qui fait danser les lettres, chanter les phrases, tourner les pages ». C’est à la résurgence d’une histoire enfouie, prisonnière des griffes du passé, à laquelle le lecteur assiste au fil des pages qui gardent comme le titre l’indique un secret douloureux pour l’enfant qui lentement, telle une chrysalide, va renaître en « sortant de son linceul de papier ». C’est en regard du papier, cette surface vouée aux signes entre soi et le monde, que se dessinent les méandres d’une écriture qui va creusant dans le lit du temps « la trace de ces présences effacées » pour qu’enfin « l’oubli puisse parler ». En suivant les petits mots de l’enfance qui émaillent le récit comme des cailloux laissés sur le chemin, et qui résonnent de page en page, le lecteur découvrira le rythme syncopé d’une écriture qui travaille à libérer du linceul de l’oubli « cette enfant sans voix » à qui « il aura fallu traverser le temps, élaguer les mois et les années » pour se reconnaître dans le miroir de la parole. Ce récit longuement mûri dans les plis et les replis d’une écriture qui en marque le tempo, obstinément, par la reprise des mêmes sonorités poursuivies de phrase en phrase, nous met face à l’énigme de l’identité. Quelle est cette enfant dont le nom porte l’ombre d’une histoire de morts ? C’est sur le fond tragique de la déportation et de l’anéantissement d’une partie de sa famille en 1944, que se noue la trame d’une histoire singulière dont les éléments épars sont peu à peu rassemblés comme pour en reconstituer la partition à partir de bribes de mots, de syllabes trouées de silence. Par une sorte de mise en abîme, les voix narratives se croisent et se répondent en un jeu subtil où l’une prend la figure de l’autre et n’en finit pas de retentir dans la profondeur d’une mémoire en souffrance. Pour renaître à la vie et échapper au sacrifice auquel il était promis, l’enfant qui sous les traits de « l’infans » se croyait meurtrier à son tour rejoue la scène de l’oubli. Ainsi, « caché au fond de moi, perdu dans la forêt des mots que je disais, l’infans se racontait ». C’est ce récit d’une remontée à la lumière des vivants que nous offre Pascale Lemler. C’est cette part d’identité perdue que le passé lui a léguée, cet héritage dont il faut guérir, qu’elle a tenté de sauver du naufrage par la justesse d’une écriture qui fait toute sa place à la richesse du symbolique en se jouant de l’équivoque des mots jetés sur la page. Il reste au lecteur à se laisser porter par ce récit mêlé de chants et de comptines, véritable incantation de la mémoire autour d'un nom où « d'autres voix murmuraient », en l'occurrence ici un prénom, celui de l'auteur de ce livre. Ce nom devient mot de passe qui permet de franchir la limite « entre la parole et l'oubli ». En exergue du livre, un extrait du Talmud de Babylone nous rappelle que l'enfant qui va naître à travers ce récit, « l'enfant que j'avais été mais que je ne connaissais pas » reçoit « un soufflet sur la bouche » laissant la marque d'une promesse, celle d'écrire « des mots pleins de bruits d'autrefois, des silences jamais vides de voix ». Avec ce livre en quelque sorte la promesse est tenue, la parole est honorée pour que se fasse entendre la musique des mots qui seule peut nous dire que nous appartenons bien au monde des vivants. Alain Fabre-Catalan
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